Mois: décembre 2019

La table

Publié le

Toute une génération de metteurs en scène, d’auteurs contemporains et d’acteurs est en train de partir. Normal. La logique implacable de notre finitude. Mais c’est toujours difficile de les voir nous quitter. Sur mes films 8mm, autour de la table familiale que je possède maintenant chez moi, je peux voir une bonne partie de cette génération. Quelle troupe ça ferait aujourd’hui. Paule Bayard, la première Bobinette, Guy Lécuyer, Albert Millaire, Amulette Garneau, Hélène Loiselle, Jacques Zouvi… entre autres. Plus tard, je me souviens, autour de la même table; Olivier Guimond, Marcel Gamache, Denis Drouin et leurs familles. Et ensuite, mais eux sont toujours bien vivants: Michel Tremblay, André Brassard et leurs personnages. Les tests de maquillage pour ma mère en “Bec de
lièvre” pour le film “Il était une fois dans l’est”. Trois époques, trois facettes de notre milieu culturel, la même table, que j’ai le bonheur d’avoir dans ma cuisine. Ces grands artistes m’ont émerveillé, passionné, épaté, intrigué. Beaucoup plus tard, j’ai eu la chance en tant qu’acteur, de travailler avec plusieurs d’entre eux. Je ne le montrais pas toujours mais ce fût extrêmement touchant. Je me rappelle aussi de Jean-Pierre Ronfard et de Robert Gravel choisissant avec moi les sons et la musique du “roi boiteux”, tous les deux assis sur mon lit, dans ma chambre chez ma mère!
La table n’était pas loin…
Ces jours-ci, je travaille avec une Béatrice Picard en pleine forme.
J’ai aussi l’honneur et le bonheur de monter une adaptation formidable de Michel Tremblay.
 
Je suis encore très ému en travaillant sur ces deux projets.
Et je fais exprès; seul chez moi, je m’assois à la même table, pour y travailler, soixante ans plus tard.

Ah, nostalgie!

Publié le

Quand je me retourne pour regarder derrière moi, je m’attends à retrouver les choses au même endroit, les arbres, petits, les camarades avec la même voix, les enfants tout jeunes, les magasins encore ouverts avec la même raison sociale, les amis avec la même allure, ou au moins, toujours vivants, mon corps sans son vécu. La réalité est toute autre; le paysage a changé, les arbres sont immenses, certains mêmes, sont tombés, les « condos » remplacent les maisons, les femmes me sourient moins, les restaurants ont déménagé ou fermé, les gens ont vieilli, plusieurs nous ont quitté, malheureusement. Je tente sincèrement de regarder devant moi, loin en avant, sans essayer de retrouver le passé, le même passé, en évitant de faire renaître certains moments dissous qui m’ont jadis rendu heureux, mais en vain; les souvenirs, les sensations, les goûts, les odeurs, une certaine naïveté sécurisante, bref, un méli mélo d’émotions engourdissantes et chaudes me remontent dans le coeur pour venir m’embrouiller les yeux. Mon âme voit très loin en arrière, les années y ont tracé les sillons, difficile de s’y perdre, je n’ai qu’à me laisser porter; tout est clair: les sourires, les sons, les yeux, les visages, la musique, la douleur, la beauté, les noms qui surgissent; Jacques, Nicole, Louise, Amulette, Robert, Kathleen, Olivier, un autre Jacques, un autre Robert, l’amour, la joie, les peines.

Et devant, c’est la page blanche, le vide, l’inconnu, sans trace aucune…Alors, donc, tout est possible?